Lorsque l'administration fiscale poursuit un héritier pour le paiement des impôts dus par le défunt, une question procédurale essentielle se pose : devant quel juge contester la validité de ces poursuites ? Par une décision du 17 septembre 2025 mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d'État vient clarifier la répartition des compétences entre juge administratif et juge judiciaire.
Le contexte de l'affaire
M. B. s'est vu réclamer, en sa qualité d'héritier de Mme B., des cotisations de taxe foncière et de taxe d'habitation sur les logements vacants dues par la défunte au titre des années 2017 à 2021. Après une mise en demeure restée infructueuse, la direction régionale des finances publiques de Normandie a émis quatre saisies administratives à tiers détenteur le 6 juillet 2022 pour appréhender les sommes sur les comptes bancaires de l'héritier.
M. B. a contesté ces saisies devant le tribunal administratif de Rouen, invoquant notamment le non-respect de l'article 877 du code civil. Ce texte prévoit que le titre exécutoire émis contre le défunt n'est exécutoire contre l'héritier que huit jours après signification à ce dernier. L'héritier soutenait que cette formalité n'avait pas été accomplie, rendant les poursuites irrégulières.
Le tribunal administratif a rejeté sa demande, estimant pour partie qu'il n'était pas compétent pour connaître de ce moyen. M. B. s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'État.
La solution retenue par le Conseil d'État
Le raisonnement du juge
Le Conseil d'État fonde son analyse sur l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, qui organise le contentieux du recouvrement. Ce texte distingue deux types de contestations : celles portant sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite, qui relèvent du juge de l'exécution (juge judiciaire), et celles portant sur l'existence de l'obligation de payer, qui relèvent du juge de l'impôt (juge administratif pour les impôts directs).
La question était de savoir dans quelle catégorie classer la contestation tirée du défaut de signification prévu à l'article 877 du code civil. Le Conseil d'État tranche clairement : cette contestation porte sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite.
En effet, l'article 877 du code civil subordonne le caractère exécutoire du titre à l'encontre de l'héritier à une formalité procédurale préalable : la signification au moins huit jours avant les poursuites. Le non-respect de cette exigence affecte la régularité formelle de l'acte et non l'existence même de la dette.
La portée de la décision
Cette décision, mentionnée aux tables du recueil Lebon, présente un intérêt doctrinal certain. Elle précise pour la première fois de manière explicite que la contestation fondée sur l'article 877 du code civil constitue un moyen de régularité formelle relevant du juge judiciaire.
Le Conseil d'État confirme ainsi le tribunal administratif qui s'était déclaré incompétent sur ce point. L'héritier aurait dû saisir le juge de l'exécution du tribunal judiciaire pour contester l'absence de signification préalable.
À retenir : La contestation d'un acte de poursuite dirigé contre un héritier à raison du défaut de signification du titre exécutoire émis contre le défunt relève de la compétence du juge judiciaire, en vertu de l'article L. 281 du LPF.
Les implications pratiques
Cette décision a des conséquences importantes pour les héritiers confrontés à des poursuites fiscales pour les dettes du défunt.
Pour les héritiers :
La première démarche doit consister à vérifier si le titre exécutoire (avis d'imposition) émis au nom du défunt vous a bien été signifié. À défaut de signification régulière, les poursuites engagées moins de huit jours après sont irrégulières. Mais attention : cette irrégularité doit être contestée devant le juge judiciaire (juge de l'exécution), et non devant le tribunal administratif.
Pour les praticiens du droit successoral :
Cette répartition de compétences impose une analyse préalable rigoureuse des moyens de contestation. Les arguments relatifs à l'obligation de payer elle-même (prescription de la dette, paiements effectués, montant erroné) relèvent du juge administratif. Les arguments relatifs à la régularité formelle des poursuites (signification, forme de l'acte) relèvent du juge judiciaire.
Pour les conseils :
Une erreur d'aiguillage peut être fatale. Si l'héritier saisit le mauvais juge, le délai pour contester devant le juge compétent peut expirer pendant la procédure. L'analyse des moyens invocables et de leur qualification juridique doit être effectuée dès réception des actes de poursuite.
Conseil LexaNova : En cas de poursuites fiscales pour les dettes d'un défunt, vérifiez immédiatement si la signification prévue à l'article 877 du code civil a été effectuée. Si ce n'est pas le cas, agissez rapidement devant le juge de l'exécution pour contester la régularité des poursuites.